Boullier. D, Ed. Le Passeur, 2020, 238 p.
Il est de coutume de considérer que l’abondance des chaînes, des programmes et des médias a détruit la synchronisation de l’audience, c'est-à-dire de ce «monde commun, pour produire, dit-on, des bulles de filtre, divisant l’espace public en autant de communautés d’intérêt spécifiques».
Il n’est par conséquent plus question d’«espace public», mais plutôt de «rythme public». La publicité en fait partie, comme l’indique sa racine, commune à publication et à débat public.
Les algorithmes des plateformes valorisent ce qu’on appelle «l’engagement» qui permet d’attester d’une attention active que les services commerciaux peuvent vendre aux marques. Ils «peuvent corréler toutes ces interactions avec les données similaires du passé pour modifier notre fil d’actualité, qui n’a plus rien de chronologique et dont aucun utilisateur ne peut comprendre la logique de présentation».
Moins un utilisateur réfléchit, plus il active son réseau fréquemment et sollicite les cerveaux de ses proches qui sont alors disponibles. Il s’agit d’un système de captologie qui «recherche tous les ressorts pour capter notre attention à son niveau de signal le plus bas, c’est-à-dire le moins conscient et donc le plus puissant».
Le réchauffement médiatique dont parle l’auteur est avant tout un réchauffement publicitaire, car c’est «le seul qui génère des revenus et qui justifie donc pour les plateformes de maintenir des dispositifs de captation de l’attention à un rythme aussi élevé».
Pourquoi la publicité joue-t-elle un rôle clé dans cette captation de l’attention ? S’interroge l’auteur. Il répond : «parce qu’Internet, le Web en particulier, s’est appuyé sur le modèle économique dominant des médias de masse, la publicité, établi avec la radio aux États-Unis dès 1926».
Mais la dérive marchande a été décidée politiquement lorsque Bill Clinton et Al Gore «ont retiré la gestion d’Internet à la NSF, pour la transférer aux opérateurs de télécommunications et aux organes de l’Internet, eux-mêmes dirigés de fait par toutes les grandes firmes technologiques. Mais dans les années suivantes, ces plateformes systémiques que sont devenues les GAFAM, puisqu’elles organisent tout l’écosystème du numérique autour d’elles, ont profité de cette voie libre pour générer des revenus extraordinaires selon des principes différents, certaines purement numériques (Google et Facebook), d’autres combinant la vente de biens matériels ou logiciels (Apple, Amazon et Microsoft) avec leur activité de plateforme immatérielle».
Toutes ont cependant un point commun : «avoir attiré les investisseurs pour des montants tels que quatre d’entre elles (sauf Facebook, la plus récente) ont franchi en 2019 la barre des 1 000 milliards de dollars de capitalisation (et même 2 000 milliards en 2020 pour Apple), jamais atteinte dans l’histoire du capitalisme américain».
Les publicités sur les plateformes ont été introduites par Google dès octobre 2000, avec le principe des Adwords : les annonceurs achètent des mots-clés qui, une fois saisis par l’utilisateur dans ses requêtes, déclenchent l’affichage d’un lien vers l’entreprise ou la marque. Lorsque les placements furent attribués aux enchères en 2002, «le système devint rapidement une poule aux œufs d’or inattendue pour les fondateurs eux-mêmes».
Lorsqu’une marketplace fut créée en 2009, qui permettait à une marque de gérer directement ses placements (et de faire des enchères en fonction de ses objectifs propres), les revenus explosèrent. Dans les deux cas, «la capacité de cibler plus précisément les utilisateurs et de payer en fonction de ce ciblage, constituait un gage d’efficacité pour les publicitaires».
En fait, ce sont «les comportements des utilisateurs et leurs comportements à venir qui intéressent les agences de placement et les marques, ce que ne permettait pas l’exposition massive de publics hétérogènes à des campagnes télévisées».